“La Vie liquide” de Zygmunt Bauman, Ed. Le Rouergue / Chambon
martin | 18 septembre 2008 | 8:46Il est des œuvres dont on se souvient longtemps. Films, Musiques, Livres. Il est parmi ces oeuvres des livres dont les pages cornées et jaunies nous rappellent longtemps les meilleures phrases de leur puissant contenu.
Ces livres nous marquent. Celui dont je vais vous parler est, à mes yeux, de ceux-ci.
Pour le sujet abordé. Une étude de la société de consommation actuelle au travers de toute notre façon de vivre européenne. Comme écrit sur la quatrième de couverture et je ne dévoile rien en le notant ici : « La vie Liquide est le triomphe du consumérisme […] ».
Pour la forme du discours. Pour la beauté du récit et les émotions ressenties à la lecture. Pour ce qu’il a éveillé en moi.
Pour le moment de ma vie pendant lequel je l’ai lu, sa lecture ayant coïncidé à bien des égards à une phase de changement dans ma vie.
La Vie liquide aura été un peu de tout cela pour moi. Un livre que je n’oublierai probablement pas, une madeleine de Proust qui me rappellera des images, des couleurs, des sons, des visages et des odeurs quand j’y repenserai.
Les quelques citations publiées ces derniers jours en sont la preuve, ce livre m’a marqué. Il a mis des mots sur des choses que je ressentais, des théories que je constatais sans savoir les nommer, des comportements qui me choquaient ou me faisaient rire sans que je sache réellement pourquoi.
Le style
Le style de cet essai est grand. On a l’impression d’apprendre en lisant. Apprendre des tournures de phrases, des mots, des citations latines. C’est très enrichissant. Je ne me souviens pas d’avoir autant appris en lisant. Je ne lis probablement pas assez ou alors pas assez d’œuvres dignes de ce nom.
Dans cet essai, le discours est factuel. C’est ce qui est agréable tout en étant parfois un peu compliqué. En effet, l’auteur ne se démarque pas de son argumentaire précis, presque mathématiquement démonstratif. C’est frappant de précision et de maîtrise. Tout est prouvé par des exemples, des théories. Rien n’est lancé au hasard.
Les termes utilisés sont justes et d’une précision rare. Chaque mot est judicieusement utilisé. On se rend compte de la culture et de la richesse de vocabulaire de l’auteur en le lisant. J’ai très souvent eu recours au dictionnaire, n’estimant pourtant pas avoir un piètre niveau de langage. J’ai appris bien des mots pendant que je parcourais ce récit.
Le contenu
Le contenu….c’est là qu’on aborde la grosse partie de la critique.
Que dire ? Que dire sinon que cet essai est impressionnant de vérité, criant de réalité, qu’il ouvre les yeux et qu’on n’en ressort pas indemne. A titre personnel, cet ouvrage n’a fait que renforcer certaines de mes convictions.
Travaillant dans le marketing, il pourrait même avoir renforcé mon esprit marketeux en m’expliquant le revers du système et donc des clés pour le détourner…
« La modernité liquide ne se fixe aucun objectif et ne trace aucune ligne d’arrivée ; plus précisément, elle n’attribue la qualité de la permanence qu’à l’état d’éphémère. Le temps s’écoule, il n’avance plus. »
L’auteur aborde successivement la place de l’individu, puis l’évolution du statut de héros dans la société actuelle et sa transformation en ce qu’on appelle la célébrité. Il disserte ensuite sur la culture, les peurs actuelles, le sentiment de sécurité et d’insécurité en ville. Il poursuit en s’attaquant à la consommation dans la société moderne liquide puis donne des pistes pour combattre ce qu’il décrit. Enfin, le livre se termine par une relecture et une explication d’ Arendt et d’ Adorno.
Extraits
Certains passages sont très forts. J’en ai relevés plusieurs.
Parlant de la puissance du marketing et du besoin constant de faire renouveler les biens, l’auteur explique que « si les promesses veulent être séduisantes et communicatives alors les promesses déjà faites doivent être rompues »
Abordant la durée de vie des produits et la volatilité des biens, le besoin constant de changement et de mouvement pour rester dans la société, il note que « la partie utile a une durée de vie brève, volatile, éphémère. Seuls les déchets ont tendance à être solides et durables. Solidité est désormais synonyme de déchet. »
Dénonçant le commerce des formations et la rapide péremption des acquis, il décrit que « la croissance fougueuse des connaissances, et le vieillissement non moins rapide des anciennes se combinent pour produire de l’ignorance humaine à très grande échelle, et réapprovisionner continuellement, voire même étoffer ses stocks ». A la suite de ce raisonnement, il poursuit : « la société de la connaissance renforce les inégalités et l’exclusion sociale » et conclut ensuite en nous disant que « l’éducation tout au long de la vie sert à nous donner le choix. Mais nous en avons encore plus besoin pour préserver les conditions qui rendent ce choix disponible et à notre portée. »
Revisitant enfin Adorno, il explique que «Ce n’est pas, comme le veut l’idéologie, l’évidence qui décide de ce qui est simple opinion, mais c’est le pouvoir de la société qui dénonce comme pur arbitraire ce qui ne coïncide pas avec son propre arbitraire. La frontière entre l’opinion saine et l’opinion pathogène est tracée effectivement par l’autorité du moment, et non par une connaissance objective. »
Mon avis
J’ai eu du mal à démarrer cet essai je dois l’avouer. Le sujet m’avait attiré, analysant régulièrement la société de consommation et les rapports entre les personnes. Malgré cela, les premières pages, bien qu’intéressantes m’ont un peu refroidi.
Le style, très magistral a eu tendance dans un premier temps à me repousser. Puis, lecture se faisant, j’ai vraiment apprécié la tournure du récit, les phrases à n’en plus finir, les théories complexes et immenses de clairvoyance. Combien de fois ne me suis-je pas dit : « Mais c’est vrai, je m’étais déjà dit ça… »….mais en moins clair et moins brillant.
Je me suis accroché et ne regrette pas. Ce livre est un décodeur de notre société de consommation débridée et de nivellement par le bas. En le lisant, on se dit qu’il faudrait que chaque personne ait conscience de ce qu’il révèle pour qu’enfin l’ensemble de la société puisse s’élever. Mais tout de suite après et en se souvenant de certains passages, on se demande directement si la société est prête pour cela.
Je vous conseille la lecture de ce livre impressionnant. Entre philosophie, sociologie et chronique de notre époque, ce livre excelle dans la compréhension et l’explication des phénomènes sociétaux actuels. J’espère qu’il vous ouvrira les yeux et l’esprit autant qu’à moi.
[...] Il y a de tout comme vous le constatez.
Blog de Martin Régent - Un monde de procrastination » Teaser - Bientôt en critique sur le blog… | 16 novembre 2008 | 14:53[...] Il y a de tout comme vous le constatez. Je poursuis mon exploration de l’univers Nothomb avec le roman qui l’a fait découvrir au monde “Hygiène de l’assassin” mais également de la SF avec Simmons, Bordage ou encore de l’étude sociologique et philosophique avec deux livres de Bauman déjà lu et apprécié ici. [...]
[...] En ce jour de Web08 dont le thème est
Blog de Martin Régent - Un monde de procrastination » Citation de “L’Amour liquide” | 10 décembre 2008 | 6:41[...] En ce jour de Web08 dont le thème est l’amour et avant d’aller ce soir à la Techcrunch Party de clôture, voici une belle citation tirée de “L’Amour Liquide” de Zygmunt Bauman dont j’ai déjà lu “La vie liquide”. [...]
[...] sous-titré : “De la fragilité des liens entre les
Un monde de procrastination » “L’Amour liquide” de Zygmunt Bauman, Ed. Hachette Littératures | 25 janvier 2009 | 19:36[...] sous-titré : “De la fragilité des liens entre les hommes”. Il reprend les thèmes de “La Vie liquide” en s’attardant un peu plus sur les relations entre les personnes dans la société moderne [...]
[...] Cela rejoint les thèmes et théories de Zygmunt Bauman
Fenêtre sur le monde, fenêtre sur l’actu #1 | Un monde de procrastination | 10 octobre 2010 | 16:35[...] Cela rejoint les thèmes et théories de Zygmunt Bauman dans “La Société assiégée” que je continue de lire en fil rouge. Cela confirme également les vues évoquées dans son ouvrage référent, “ La Vie liquide“. [...]