“L’Amour liquide” de Zygmunt Bauman, Ed. Hachette Littératures
martin | 25 janvier 2009 | 19:35Autre ouvrage de Zygmunt Bauman lu et critiqué sur ce blog, ce livre est sous-titré : “De la fragilité des liens entre les hommes”. Il reprend les thèmes de “La Vie liquide” en s’attardant un peu plus sur les relations entre les personnes dans la société moderne liquide.
Ce livre est vraiment passionnant, comme le précédent, car il fait le focus sur un point de notre vie essentiel : la relation à l’autre, la relation aux autres.
L’être humain est avant tout un animal social. On ne peut concevoir de prime abord la vie sans prendre en compte la partie sociale.
Le style
Comme le précédent livre de Bauman, on se retrouve encore une fois face à un essai naviguant entre la sociologie et la philosophie. L’auteur cite également beaucoup de penseurs ou prend régulièrement exemple sur l’histoire des civilisations pour argumenter, défendre ou réfuter des thèses.
Le style est relativement soutenu sans atteindre néanmoins celui qu’on peut retrouver dans son précédent ouvrage. Il faut s’accrocher aux pages du livre pour ne pas perdre le sens des phrases qu’on lit mais tout cela se comprend parfaitement bien une fois les quelques mots techniques ou inusités définis. On retrouve parfois des termes scientifiques ou médicaux précis.
On n’a plus l’habitude dans notre monde de médiatisation pré-mâchée d’utiliser des termes pour leurs usages propres. On préfère bien souvent dans le but de globaliser et de parfaire l’assimilation des informations, niveler par le bas la syntaxe ou le sens. Une action définie précisément devient donc le fait d’agir, le truc consistant en. On en oublie la richesse de la langue et ses subtilités. Ce genre d’ouvrage nous permet de retomber dans la beauté de la langue et d’en redécouvrir des pans souvent inexplorés, ou plus grave, oubliés.
Le contenu
Plus important que la forme pourtant agréable et forte, le fond de ce livre est primordial. C’est ici tout l’intérêt de la critique.
Outre le traitement de l’amour comme vendu en première page du livre, cet ouvrage évoque également les relations en général entre les personnes, les états, les nations. La première partie de l’ouvrage évoque principalement les relations entre les personnes et la seconde les relations entre les entités en général.
L’amour, les relations entre les personnes
Cette première partie du livre est distrayante car elle parle de choses auxquelles on peut facilement s’identifier ou dont on a souvent entendu parler autour de soi ou dans les médias. L’auteur parle ainsi de la perte des vraies valeurs de l’Amour au profit d’unions purement sexuelles et éphémères. Il parle de cela comme d’un “épisode (qui) n’est pas une conséquence nécessaire de ce qui le précède et ne [produit] aucun effet”
Pendant cette exploration des nouveaux modes de communication et des nouvelles relations de notre monde moderne liquide, l’auteur décrit les services de rencontres en ligne et les assimile à de la VPC, permettant aux consommateurs de goûter sans engagement et de retourner la marchandise sans aucun problème ni obligation envers qui que ce soit en cas de non satisfaction. Tester, consommer, jeter. Il exprime même l’argument que ce système est largement applicable à notre société actuelle et quotidienne, allant même plus loin et décrivant pour les couples des grandes villes, dépassés par le temps, le travail, l’union comme un moyen de se créer un statut dans la société, la procréation devenant alors avant tout un acte menant à la création d’enfants décrits comme des “biens de consommation émotionnelle.”
Il argumente tout cela en mettant en avant le manque d’éducation latent, le syndrome des enfants rois, la perte des valeurs des jeunes générations par manque d’encadrement.
Sur les relations plus générales, le sociologue s’étale sur les moyens modernes de communication soulignant les avancées qu’ils fournissent mais met également en avant les défauts et les tares de ces systèmes.
“Ceux qui restent à distance, les portables leur permettent d’entrer en contact. ceux qui entrent en contact, ils leur permettent de rester à distance”
“La proximité n’exige plus le voisinage physique mais ce dernier ne détermine plus davantage la proximité”
Toute cette analyse de notre monde de communication est particulièrement claire et cohérente. J’ai toujours pensé que malgré l’étendue des moyens de communication modernes mis à notre disposition, le grand mal de notre société et probablement de la civilisation occidentale était la communication.
On le voit tous les jours sur Facebook. On se connecte. Peu d’entre nous se parlent. On se connecte avant tout pour prendre connaissance de la “mise à jour de la vie” des autres.
Les relations entre les états, la communication en général
La deuxième partie, non clairement identifiée, est particulièrement intéressante à l’heure des conflits globaux et des menaces terroristes à grande échelle. Il permet de mieux analyser et comprendre les tenants et aboutissants des relations guerrières et stériles entre les états occidentaux et les groupuscules extrémistes.
Ainsi l’auteur évoque pour preuve que “la force terroriste qui s’est chargée de mettre au pied du mur l’autonomie et l’invulnérabilité de l’Etat le plus autonome et le moins vulnérable du monde ait agi depuis un territoire qui a cessé de longue date d’être un Etat, puisqu’il s’est transformé en incarnation du vide dans lequel flotte le pouvoir global.”
Il poursuit ensuite “Tout aussi symbolique est le caractère déplacé de la réponse qui confond cette nouvelle variété, globale, de violence et ses nouveaux buts et enjeux globaux, avec un conflit entre Etats d’antan, et réduit la “guerre contre le terrorisme” à l’anéantissement par les bombes d’un “Etat voyou” déjà non existant”
On voit tout de suite la relation au monde actuel et l’interprétation qu’on peut en faire. Moi qui suis de manière très critique le traitement des événements mondiaux tels que la “guerre contre le terrorisme”, je n’avais jamais entendu pareille analyse et vision si éclairée et juste des conflits. Dingue de se dire que des traitements différents existent mais qu’ils ne sont, soit pas connus, soit évités car non lucratifs ou arrangeants pour les états.
Dans la partie traitant des relations entre états, le philosophe parle de la modification des références du monde et ouvre également une fenêtre d’analyse particulièrement pertinente sur la société moderne par ce biais. “Nous vivons dans un monde qui n’est plus basé sur l’étendue géographique mais sur une distance temporelle que nous faisons constamment décroître par nos capacités de transport, de transmission et de télé-action (…) Le nouvel espace est l’espace-vitesse, ce n’est plus un espace-temps”
On peut là clairement plaquer sur cette citation la “lutte des générations” vécue dans notre société entre les générations connectées, à même de s’accrocher aux wagons du train médiatique et celles complètement dépassées et mises de côté par le modernisme.
Conclusion
Le sous-titre de cet ouvrage porte particulièrement bien son nom. En ces temps de communication avancée et convergente, on n’a jamais autant peu parlé à l’autre, il n’y a jamais eu autant de non-dits et de problèmes de compréhension par manque de communication. Ce livre nous fait nous poser les questions suivantes :
- Sommes-nous prêts pour ces possibilités offertes par la technologie de communication ?
- Avons-nous la formation, la maîtrise de la langue, des codes de communication pour évoluer sans souci dans ce monde de communication ?
A la lecture de ce livre, j’en suis arrivé à la conlusion que non. J’en suis également arrivé à la conclusion que les vraies relations entre les personnes étaient de plus en plus rares et qu’elles risquaient de se raréfier encore.
Rien n’est perdu mais il convient de changer. Tout reste possible. Il faudrait simplement que les thèses décrites dans ce livre soient plus mises en avant pour que chacun puisse prendre conscience de la bêtise du modèle que nous suivons sans nous en rendre compte.
Un livre riche et d’un immense intérêt !
L’Amour liquide, de Zygmunt Bauman, 185 pages. Un livre dont je vous recommande chaudement la lecture.
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Merci pour cette belle analyse ! Je suis tombée par
Hamda | 29 juin 2016 | 6:13Merci pour cette belle analyse ! Je suis tombée par hasard sur cette page et je ne le regrette pas ! Hate de lire le livre