“Le quai de Ouistreham” de Florence Aubenas, Ed. de l’Olivier
martin | 29 août 2010 | 18:20A la sortie de son livre, j’avais lu une interview de Florence Aubenas au sujet de son livre et j’étais partagé entre deux sentiments.
Comment voir ce livre ?
Celui de me dire que ce bouquin surfait sur la vague médiatique de la crise et l’autre de me dire que ce qu’elle avait fait été vraiment fort. Oser repartir même pendant quelques temps seulement, de zéro, tout oublier et découvrir un monde inconnu, m’impressionnait.
Quand j’ai eu l’opportunité de lire le livre et connaissant le pitch, je m’y suis lancé très rapidement et l’ai terminé en quelques soirées.
Ce que je retiens de cette lecture est un sentiment là aussi double.
Je dirais que ce livre est à la fois choquant et touchant, ressentis qui peuvent paraître a priori antagonistes. Je vais tenter de vous les exprimer.
Journaliste à libération, Florence Aubenas a décidé de se fondre dans la masse des demandeurs d’emplois sans formation en partant dans une ville de province, ni trop grande, ni trop petite, afin de se rendre compte de ce qu’est la recherche d’emploi.
Elle y livre le récit de son parcours. Les rendez-vous à pôle emploi, dans les agences d’intérim où même un travail de femmes de ménage requiert des années de formation et d’expérience.
Le récit d’une belle aventure humaine
Elle y raconte ses rencontres avec ses collègues, des personnes simples et touchantes, celles que les politiques qualifient de “France d’en bas”.
On y découvre grâce à ces rencontres du quotidien leur façon de voir la vie, de percevoir la société de consommation et on comprend mieux le malaise que vit cette partie de la société en France actuellement.
En relatant ses discussions avec ses collègues de travail, on découvre des personnes pour qui rien n’est simple, qui jonglent au centime près avec leur budget pour avoir à manger tous les jours dans leur assiette, qui ne croient plus en la classe politique et qui se sentent délaissées par une société qui les tentent constamment, sans jamais leur laisser la possibilité de succomber à cette tentation.
Elle y exprime également la grande difficulté du métier d’agent d’entretien, les relations inexistantes avec les employés des bureaux nettoyés. Inconcevable pour moi qui salue et discute tous les jours avec la personne venant vider les poubelles et nettoyer le bureau le soir !
Elle y décrit le manque de considération constante des employeurs, des clients et également la difficulté physique de ce métier mal payé mais très éprouvant.
Plusieurs choses m’ont vraiment étonné dans ce livre.
La difficulté et la détresse des demandeurs d’emploi, tout d’abord, souvent présentés par les médias comme de simples chiffres.
On perçoit à la lecture du livre de Aubenas que malgré leurs efforts, rien n’est jamais facile pour eux et que s’en sortir et sortir de la condition dans laquelle le système les a mis est une tâche quasiment impossible. J’ai eu l’impression que l’auteure leur donnait la parole au travers de cet essai.
La distance de ces gens avec toute l’agitation médiatique et marketée de notre monde ensuite. Entre acteurs piégés dans le système et victimes consentantes de ce système, ces personnes souffrent du système dans lequel nous vivons. Lire dans le livre qu’une personne mettait devant son travail le fait de regarder “Attention à la marche” ou “Confession intimes” est étonnant. C’est révélateur du peu d’espoir qu’on peut avoir quand on est dans leur situation.
Lire que d’autres vont se promener dans les hypermarchés le week-end pour rêver à tous ces objets qu’ils ne pourront probablement jamais s’acheter est carrément choquant.
Ces remarques font réfléchir sur le rôle que les médias et le marketing tiennent dans la vie de ces gens et sur l’influence qu’ils peuvent avoir. Ne sont-ils pas responsables d’ailleurs de leur désespoir ?
Je sais qu’à titre personnel, je prends beaucoup de recul sur les signaux qu’envoient les médias et le marketing, travaillant un peu dans le système, mais voir à quel point ce système emprisonne ces gens dans cet asile de faux rêves de bonheur est triste.
Un livre qui met en lumière le fossé dans la population française
Florence Aubenas braque son livre, tel un projecteur, sur le fossé qui se creuse dans notre société entre les classes sociales et montre à quel point celle qu’on pourrait qualifier de “basse”, sur critère purement financier, souffre de ne pouvoir s’offrir le dernier produit à la mode simplement parce que la télé lui fait croire qu’il lui apportera le bonheur.
Outre ce souci de matérialisme dont nous sommes tous victimes, elle démontre également la perte de confiance des demandeursd’emploi et des personnes en galère en l’appareil politique et social français mais surtout dans les valeurs fondatrices de la régublique française, l’égalité et la fraternité.
D’ailleurs, à ce sujet, les descriptions des organismes sociaux sont parfois terribles. Ayant vécu moi-même au tout début de ma carrière un passage par le pôle emploi pour régulariser ma situation et bénéficier d’une converture sociale avant mon premier emploi, je me souviens également de ces scènes de personnes dépassées par la complexité et les errements du système. L’auteure les décrit comme elle racontre des formations dans lesquelles les personnes n’écoutent pas, se foutent des formateurs. Cela ne semble plus choquer personne dans ces scènes. C’est aberrant. Refuser de l’aide montre à quel point de non retour ces gens se trouvent et c’est triste.
Une fenêtre sur les oubliés de notre société
En conclusion, ce livre est une fenêtre sur une frange de la population en marge de ce que nous montrent les médias, une partie de la France oubliée qui souffre et tente de s’en sortir mais qui a bien du mal à garder la foi en l’Etat français. Cela ressemble un peu à un hommage de Florence Aubenas à ses compagnons de galère, une sorte de coup de pouce.
Le livre est court e(269 pages) se lit facilement, on s’attache aux personnes rencontrées par Florence Aubenas et on attend toujours la suite des événements dans cette quête du CDI semée d’obstacles, but de ce livre, auquel bien évidemment elle arrive, puisque c’est le terme de l’ouvrage. Ce n’est pas forcément un grand livre mais c’est une belle vision alternative de notre société.
A lire pour prendre conscience ou se rappeler que le fossé se creuse en France.