Et si Google venait de mettre une option sur le rachat de la presse française ?
martin | 3 février 2013 | 16:50On y est, Google a une nouvelle fois remporté une belle bataille des idées face aux politiques. Je suis étonné que si peu de “journalistes” ne le réalisent, peut-être par respect pour leurs dirigeants, les blogueurs et “experts” du net s’étant eux tous rendus compte de la supercherie. Une preuve de plus s’il fallait s’en convaincre une nouvelle fois du décalage de la presse et de ses représentants avec la réalité du monde numérique et de ses enjeux.
Résumé du problème initial
Pour résumer grossièrement le souci, la presse demandait à Google de payer un droit voisin de celui du droit d’auteur, estimant que le fait de référencer les sites de presse tout en proposant des liens sponsorisés à côté revenait à utiliser le contenu de la presse pour se faire de l’argent, en enrichissant au passage les bases de connaissance de Google. Comme si Google avait besoin de ça, mais soit.
Et puis il est vrai la presse n’a jamais tiré profit de Google en se référençant et ne s’est pas tiré constamment des balles dans les pieds en travaillant ses titres à coup de SEO “Google Friendly”, au point de perdre toute crédibilité, toute originalité, se faisant même dévorer parfois par certains blogs ou par des sites sortis de nulle part exploitant parfaitement les règles de référencement de Google sans perdre leur âme.
Avec cet accord, la presse a donc signé le droit de ne plus rien demander à Google, jamais. A moins, comme l’a souligné Hollande par une boutade de sa spécialité pendant la conférence de presse avec Eric Schmidt, de venir de nouveau taper Google en le menaçant d’une loi ou d’une taxe.
On est de sacrés farceurs en France. Il ne faut pas oublier que Google ne paye pas tous ses impôts donc ce n’est pas comme si on n’avait pas un petit moyen de pression en cas de besoin.
L’épée de Damoclès de la taxe toujours au dessus de Google
Et puis, après tout, c’est bien comme ça que cela fonctionne aujourd’hui en France. Plutôt que de trouver des solutions aux problèmes ou aux évolutions des marchés, on les contourne et on crée des taxes pour compenser.
On taxe les voitures jugées trop polluantes (une 207 d’il y a 3 ans l’est…) dans une sorte de green-washing aberrant, sorte de taxe carbone du citoyen alors que la grande majorité de la pollution est aujourd’hui générée par le chauffage urbain et l’industrie.
On taxe également tout ce qui touche au numérique : disques durs, tablettes, lecteurs MP3, supports de stockage vierges, peut-être bientôt les accès à Internet, pour compenser les pertes qu’on estime injustement causées (par les méchants citoyens pirates, rayez les mentions inutiles) au profit des forces en présence du monde de la culture (ayant-droits, majors….), même si ces dernières sont totalement décalés face aux réalités du marché et de son évolution.
Plutôt que d’imposer à ces acteurs de muter vers des modèles durables et adaptés au marché, on les préserve artificiellement alors même que tout le monde sait que leurs business models sont mourrants si pas déjà morts. On a vu cela pour la musique et le cinéma avec les résultats qu’on connait. On le voit maintenant avec la presse malgré, il faut le reconnaître, de gros efforts de leur côté depuis la sortie des tablettes.
Je prédis que la prochaine étape sera le livre dont les ventes numériques peinent à décoller faute de tarifs attractifs. Mais là aussi, ce sera une nouvelle fois la faute du piratage. Il y a fort à parier que les Kindles et autres liseuses se feront eux aussi taxer pour aider les éditeurs traditionnels en difficulté car n’ayant pas pris le virage du numérique, vendant leurs livres numériques avec DRM au prix des livres papier. La boucle sera alors bouclée. Mais revenons au coeur du problème.
La réponse qu’attendait la presse ?
La presse attendait-elle vraiment que Google lui donne 60M à partager en je ne sais combien de parties pour financer des projets innovants visant à développer des formes de contenus numériques ? J’avoue que je ne comprends pas trop. Il me semble pour avoir déjà discuté avec certaines personnes de la presse que les projets numériques existent et sont même nombreux mais que pourtant, la presse continue à perdre de l’argent, majoritairement par érosion de son lectorat papier, la faute au gratuits, aux sites Internet.
En quoi ces 60M divisés en n parts vont-ils améliorer le revenu de la presse française à long terme et changer la façon dont Google exploiterait impunément ses contenus au travers de son algorithme, puisqu’il s’agit là du souci initial ? L’idée de départ de la presse n’était-elle pas en réalité d’obtenir une rente de Google pour l’aider à vivre, sorte de loyer du contenu dans l’attente de jours meilleurs ?
Ici, avec ce paiement “one shot”, l’argent va alimenter des projets ponctuels mais ne résoudra pas les revenus à long terme sans parler non plus des problèmes mis en avant à la source des débats, le soi-disant pillage des contenus par Google. Donc, si on suit un raisonnement cohérent et qu’on établit une stratégie logique, il faudrait que la presse soit moins dépendante de Google, tant pour son référencement que pour sa publicité très coûteuse et à sens unique. Or, c’est exactement l’inverse qui va se produire.
Une mauvaise solution à un faux problème
Je pense que rien ne va changer passée cette petite bouffée d’air frais et cet apaisement de façade. Cela risque même d’empirer de mon point de vue puisqu’il y a fort à parier que Google orientera la presse vers des solutions maison et augmentera la Google-dépendance des titres sans résoudre leur problème de base, la rentabilité du numérique face au déclin du papier et la conquête du lectorat sur les supports numériques.
J’avoue avoir été abasourdi lors de l’annonce du (non) résultat de cette négociation qui semblait ravir François Hollande, parlant d’accord “historique” et d’un “événement mondial” laissant apparemment son humilité de président normal au placard pour une fois.
Dans toute sa splendeur de “ni oui, ni non”, Hollande a en effet réussi à faire signer à la presse un accord qui ne lui apporte rien de plus que le droit de se taire et de ne plus critiquer Google. Prends les sous et tais-toi, en quelque sorte. Côté Google, la virginité est restaurée et l’ardoise à complaintes effacée, pour le moment du moins.
Eric Schmidt doit être très content d’avoir si bien exploité l’ignorance du chef de l’Etat sur les sujets numériques et d’avoir ainsi acheté le silence et la collaboration de la presse. Mon sentiment est que la presse vient de vendre son âme et de déposer les armes devant son adversaire pour un renflouement court-termiste.
Je ne vois pas comment les choses pourraient évoluer positivement à l’avenir pour eux dans ce cadre sauf d’imaginer un financement massif de la presse par Google dans les années à venir mais à quel prix alors pour la liberté des titres et des internautes ?
Google pourrait-il avoir transformé l’inconvénient en avantage futur ?
Je n’émets en fait que deux hypothèses à ce qui vient de se passer. Un acte manqué de la presse qui se sait perdue et accepte de laisser la porte ouverte à Google en espérant un rachat dans les années à venir ou une volonté de Google d’accompagner la presse dans sa chute pour mieux l’avaler ensuite en bas de la pente.
J’espère vraiment me tromper mais je pense qu’on pourrait voir dans quelques années Google s’intéresser de près aux médias et prendre la direction de journaux pour enrichir son offre de contenus et ce que nous venons de voir pourrait en être l’un des actes fondateurs. Je ne suis pas certain que l’utilisateur y gagnerait au final, Google comme tous les autres gros acteurs de la high-tech (Amazon, Facebook, Microsoft ou Apple) n’ayant pas vraiment comme but l’ouverture des données et l’interopérabilité.
Quel est le dessein de Google derrière tout cela ? Une aide dénuée de toute arrière-pensée achetant la tranquilité ou bien un coup savamment orchestré pour préparer son entrée dans la presse ? Google seul le sait et c’est ça qui m’inquiète, “Don’t be evil” qu’ils disaient.
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François Hollande par
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