J’ai testé pour vous l’appli Tinder
martin | 29 décembre 2013 | 17:36Il y a quelques temps de cela, alors que j’occupais encore un autre poste que celui sur lequel je suis actuellement, j’avais eu l’occasion de cotoyer l’équipe en charge d’un site de rencontre en ligne pour un grand portail Internet français. C’était le début des smartphones. A l’époque, le Nokia N95 était le téléphone le plus en vue et on n’imaginait pas vraiment encore avoir des applications pour tout comme c’est le cas aujourd’hui. Depuis, l’iPhone est arrivé et tout a changé.
En ce temps-là, pourtant pas si reculé que ça, j’avais imaginé pouvoir faire en sorte que les personnes se correspondant (orientation sexuelle, centres d’intérêt, préférences physiques, hobbies, âge etc.) puissent être notifiées lors de proximité rapprochée dans la rue avec un profil compatible. Hélas, à l’époque cela impliquait des usages pas encore aussi répandus qu’aujourd’hui avec une contrainte technique supplémentaire, la géolocalisation.
Les technologies de communication entre les appareils étaient encore loin d’être aussi pointues que ce qu’elles sont devenues sans même parler des problématiques de batterie. Content de mon idée, j’étais donc resté avec en tête cette vision qu’un jour peut-être, je pourrais entendre mon portable émettre une vibration lors de la présence toute proche d’une jeune femme correspondant à mes attentes.
La surprise Tinder
Récemment, cette idée m’est revenue telle un boomerang dans la figure quand j’ai découvert l’application Tinder dont la presse et le net se sont depuis emparés. Le concept est similaire à l’explication que je vous ai faite au-dessus à la différence qu’ici, la proximité est à préciser et que la correspondance des profils doit être validée a priori de manière bilatérale. On n’est donc jamais vraiment étonné des personnes avec lesquelles une correspondance peut se faire. On peut l’être, par contre, de leur faible nombre.
N’écoutant que mon côté geek avide de toujours tester les nouveautés, je me suis sacrifié…espérant peut-être aussi intérieurement trouver l’âme soeur, sans trop de conviction je vous l’accorde, le reste de l’expérience l’ayant d’ailleurs (mal)heureusement prouvé. Par souci de respect envers les personnes vues dans l’appli mais aussi par souci de préservation de l’espace de travail des personnes qui liraient cet article au boulot, je ne publierai pas de photos. Vous pourrez facilement en trouver sur le net, des tumblr s’étant montés pour compiler les photos de profil les plus “insolites” (comprendre décalées, cochonnes etc.).
Comment ça marche ?
La connexion à l’application nécessite un compte Facebook si possible assez bien rempli puisque l’algorithme de comparaison des profils étudie le graph social et les “Like” des personnes pour proposer des profils compatibles. En réalité, rares ont été les personnes qui m’ont été présentées avec beaucoup de similarités. J’ai pu constater que sur facebook, tout le monde semble aimer Daft Punk et Bref. Plus de 95% des profils vus étaient porteurs de ces 2 Likes. C’est très impressionnant.
D’ailleurs, la quantité d’infos recueillies par cette appli doit être colossale et je serais vraiment intéressé d’avoir accès à ces datas relativement à mon profil pour voir ce qui en ressort, d’un côté (personnes likées), comme de l’autre (personnes m’ayant liké). On dit souvent qu’on sort assez peu de ses cercles de relations sociales. J’ai l’impression qu’alors même que cette appli permettrait de casser cette frontière habituelle en ne s’intéressant qu’aux centres d’intérêt, elle ne fait que la remettre ailleurs, les profils avec qui un match s’étant fait me semblant très proches des personnes que j’ai l’habitude de rencontrer dans la vie.
Sur les paramètres du profil, dans plus de 90% des cas, seule la proximité géographique (parfois très relative 80km) était de la partie. Sur les probables 500 à 1000 profils vus depuis mon début de test il y a 2 mois, j’ai dû voir moins de 5 personnes avec au moins un ami en commun, et peut-être 20 ou 30 avec plus de 4 “like” en commun, quelques unes seulement présentant un nombre très important de “Like” et se trouvant d’ailleurs souvent déjà dans mes timelines Twitter par exemple. Je pense par contre qu’elles n’étaient là, comme moi, que pour le test, dommage. Dans le milieu, on ne se refait pas, on teste toujours les nouveautés pour se tenir informé des évolutions.
Une fois les profils affichés, on a accès à un “résumé” de la personne, c’est à dire une ou plusieurs photos de profil. On peut liker (coeur) ou basher (croix) et obtenir plus d’infos sur le profil, les likes en commun, une description de la personne par elle-même (souvent très recherchéé ou représentative des intentions…). On like ou on bashe à la chaîne donc. Une variante tout en slides tactiles est possible pour plus de rapidité. On rentre alors dans la méthode supermarché des profils. Voici venu le temps de la drague 2.0 ou comment trouver une “compatibilité” en 2s chrono.
Mais d’après certains articles ailleurs sur le web, Tinder ne serait pas que ça. Alors, qu’est-ce que cette appli et comment est-elle perçue par ses utilisateurs ? Creusons un peu.
Une appli de plans cul ?
Présentée comme une appli de dating traditionnelle par ses concepteurs, celle-ci est en réalité de ce que j’en ai perçu un véritable Facemash. Elle peut rapidement se révéler n’être qu’à but purement sexuel de ce que j’ai pu en lire et constater en l’utilisant. Certains profils que j’ai découverts lors de l’utilisation étaient clairement évocateurs du but uniquement consommateur de la rencontre.
Tout y passe, les photos en maillot de bain avec une pause langoureuse, les présentations textuelles évoquant une envie “de tester plein de nouvelles choses…” ou posant en résumé du profil des accroches ambigues “would you like to be my cutie pie ?”. Je vous passe aussi les gros plans sur les attributs féminins ou encore les poses résolument évocatrices avec la langue sortie et les yeux relevés, les menottes en fourrure brandies avec un air lubrique.
Malgré tout, ces profils chauds pour deux d’entre eux affiliés à des sites de chat coquin, sont restés rares dans mon parcours sur Tinder et j’ai souvent été étonné de trouver des personnes jeunes, posant à plusieurs, hors de tout contexte sexuel et semblant venir là sans vraiment savoir de quoi il s’agissait ou alors en s’affichant prudement comme pour découvrir le dernier réseau social à la mode. Ayant fixé la limite basse de la recherche à 22 ans, j’ai constaté que la grande majorité des profils provenait de cette tranche d’âge basse. Volonté de tester l’application, de trouver des plans cul, pourcentage plus important de célibataires dans la tranche d’âge, volonté de jouer à ce dernier “jeu à la mode” ? Je ne sais pas trop comment analyser cette grande quantité de profils jeunes.
J’ai d’ailleurs vu avec la médiatisation récente de l’application une arrivée massive de jeunes demoiselles n’ayant pas forcément paramétré leur profil et se retrouvant avec leurs photos Facebook sans filtre préalable directement sur TInder. Tout y passe, la photo de l’animal domestique, celle avec le petit copain en train de l’embrasser (donc là quel est le but d’aller sur Tinder ?), la photo à 10 copines avec les verres et l’alcool sur la table devant, les photos en maillot dans la piscine, des selfies à la pelle, des duck faces en veux-tu en voilà. Parfois, plus étonnant et attendrissant, les photos avec les parents ou grands parents.
Une appli de lurking ?
Plus j’utilisais l’appli, plus je me suis rendu compte de son caractère addictif. C’est assez dingue. Point de but prédateur en moi rassurez-vous mais la simple constatation que face à des profils, des bouts de vie ou des personnes dont on se demande souvent si on ne va pas les reconnaître, vient rapidement la volonté de trouver des personnes sympas pour discuter de leur motivation et pourquoi pas découvrir quelqu’un d’intéressant hors de tout but sexuel.
Cela s’est très vite manifesté mais est également vite reparti face à l’incapacité d’initier la moindre conversation. Je voulais comprendre le pourquoi de ce succès me rendant compte par moi-même de l’attirance forte que la potentialité d’un “match” apportait. Plus par curiosité que par réel intérêt, la motivation n’étant que rare vus les profils et le nombre peu important présentant des similarités, j’ai poursuivi l’étude un peu par défaut me disant que ce qui arriverait en plus du test serait du bonus. Bel esprit de sacrifice, vous le constatez ;-).
C’est alors que mon premier “match” se manifesta au moment même où je me posais la question d’arrêter le test n’y voyant plus aucun intérêt. Signe du destin ? Au final, ce fut l’une des deux seules personne parmi les 10 “match” totalisés (maigre “butin” comme vous le constatez) qui ait répondu à mon “hello” ou “hey” ou encore “Bonsoir X”. Cette charmante demoiselle, à peine plus jeune que moi, me permit d’essayer la partie “chat” de l’application mais ce fut très bref.
Mes deux discussions infructueuses
J’ai tenté d’en savoir plus sur sa motivation lui expliquant ne pas utiliser l’appli pour son but premier et présenté un peu partout (comprendre sexuel, pervers, voyeur, choisir le terme approprié…) mais plutôt pour tester et essayer de comprendre la motivation des personnes et plus si affinitées. La réponse fut brève, reprenant à peu de choses près ce que je disais suivi d’un pouvant indiquer “ouais, moi aussi…donc on arrête là” ou peut-être “ouais ouais..genre…laisse tomber” ou encore “pfff…perv…” Technique d’écoute perroquet ou moyen de couper court, je penche pour la seconde hypothèse car c’est ainsi que ma première et dernière discussion s’arrêta. Dommage.
La seconde se manifesta bien plus tard, apparemment lors de la deuxième journée d’utilisation pour elle. Bien plus jeune, je m’attendais à ne pas avoir de réponse ou à me retrouver en face d’une personne peu mature mais l’amorce de discussion fut couronnée d’une réponse et d’un bref échange qui me permit de constater que cette personne semblait bien plus mûre que son âge pouvait le laisser craindre mais également assez ouverte à la discussion sur l’application en elle-même. En plein test initial, elle m’avoua rapidement être ouverte à toute proposition étant célibataire sans que cela ne soit non plus jeté en pâture ou totalement déplacé. Je lui ai donc proposé de continuer la discussion IRL sans que cela ne donne lieu à une réponse. Mes deux tentatives de relance de la conversation sont restées vaines. Là aussi, dommage.
Par la suite, j’ai tenté d’autres débuts de discussion avec les autres personnes matchées, sans aucun succès et n’ai jamais été contacté par aucun des “matchs”, voulant également tester la bilatéralité du premier pas qui, comme dans la vie réelle semble bien n’être qu’un mythe, les hommes devant visiblement constamment initier le contact (et se prendre les vents). Au final donc, aucune fille ne m’a jamais contacté. La parité dans cette appli ne passe visiblement pas, comme je le craignais, par le premier pas.
Un simple Facemash ?
J’en suis donc arrivé à deux hypothèses sur l’utilisation que les utilisateurs faisaient de l’application. La première est que les personnes se servent effectivement de l’appli comme d’un Facemash. Un peu comme un catalogue de mecs ou de nanas qu’ils likent et dont le like réciproque viendrait flatter probablement l’égo indépendamment de toute volonté de rencontre. Auparavant, on sortait dans des bars et on matait les mecs ou les filles, le clin d’oeil ou le verre offert était la récompense, maintenant comme on passe du temps sur les smartphones, les mecs et les filles à mater viennent à nous et le like vient récompenser la “chasse” virtuelle sans devoir se risquer à une approche directe.
Ma seconde hypothèse est que l’appli, comme tout réseau social, doit fédérer et se faire accepter pour inciter les personnes à l’utiliser. Pour le moment, cette appli ne doit être qu’une appli de lurking, beaucoup de personnes, même en couple s’y promenant pour découvrir le truc dont on parle en ce moment. Ce qui m’amène également à cette conclusion est la réaction repérée par deux fois de personnes plus jeunes que moi ayant apparemment liké mon profil en retour et m’ayant immédiatement bloqué à peine la notification levée.
Comme si toute cela n’était qu’une simple consultation, un simple test d’affinité ou de séduction potentielle sans vouloir aucune implication de contact derrière, même virtuel. Une sorte de doudou numérique en quelque sorte : “Oh smartphone, mon smartphone, dis-moi qu’on m’aime et que je suis belle” ou de passe-temps en mode catalogue Ikea du mec ou de la nana, chaque “modèle” pouvant donner lieu à une extrapolation dans la vie. “Humm, je me verrais bien avec lui (ou elle). De la classe, du charme, un petit peu de folie…En plus, il (elle) aime Radiohead et lit Techcrunch comme moi. Allez, je like, on verra bien.” ou au contraire “Aaah…no way, je bashe”
Dans tous les cas, vous le constatez, cela ne nous amène pas très loin. Depuis le début de mon test, j’ai souhaité me tromper et je le souhaite encore. Je suis un peu idéaliste probablement et je rêve de pouvoir vous dire ici comment une belle rencontre a changé ma vie et que cette appli fonctionne mais je ne l’ai pas constaté et pense que ça n’arrivera pas puisque cet article rédigé, je vais certainement arrêter de perdre mon temps avec cette appli.
Quel avenir pour l’appli ?
Alors finalement, qu’est-ce qui peut bien advenir de cette application ? Les concepteurs ont annoncé avoir contribué à 150 mariages comme pour se justifier et écarter les accusations d’entremetteurs de relations jetables. J’ai du mal à y croire. Mais à la rigueur pourquoi pas et tant mieux si certaines personnes trouvent le bonheur par ce biais. Suite à mon expérience, je doute beaucoup de l’opportunité des rencontres sérieuses par ce vecteur.
J’avoue aussi que je suis très sélectif avec les profils présentés, cela réduisant logiquement les possibilités de match à un niveau epsilonesque. Comme pour empirer mon cas, mon profil Facebook est plus centré sur la veille marché, les services Web et la famille que sur le contact et l’ancrage dans la vie réelle comme peuvent l’être ceux d’autres personnes ajoutant toutes leurs connaissances et likant tout marques, enseignes, films, acteurs, évenements croisés.
Valorisée à un peu moins de 1 milliard de dollars d’après ce que j’ai pu lire, l’application donne le vertige sur son potentiel de business. Et c’est encore plus le cas quand on se rend compte, passé le volume d’utilisateurs, de la pauvreté de la chose et de la dépendance du modèle économique à ses utilisateurs. Comment monétiser un service qui semble être utilisé uniquement pour jouer à “hot or not” ? Que seraient prêts à payer les utilisateurs pour une mise en relation aussi hypothétique que les matchs ?
Je lis parfois qu’une des pistes de monétisation serait la mise à disposition de cadeaux virtuels payants. Je vois mal comment des personnes qui ne répondent pas à un simple “Bonsoir” seraient plus tentées de répondre en recevant une rose virtuelle ou je ne sais quel autre cadeau dématérialisé. Peut-être qu’en prépayant des verres dans un bar partenaire à proximité des matchs, on pourrait inciter les personnes à passer au stade IRL de la mise en relation. Mais là aussi, je doute.
Bref.
Et si le souci de Tinder pour vraiment faire matcher les profils souvent très différents était son fonctionnement intrinsèque, trop dépendant de variables souvent identiques et surtout trop peu nombreuses pour réellement trouver une compatibilité réelle ?
Cette citation de Bref, leitmotiv de ce test résume parfaitement le ressenti que j’ai régulièrement eu et qui me laisse dans un état de semi-frustration face au potentiel inexploité de la chose : “J’ai vu qu’elle aimait les Simpsons et les Daftpunks, j’étais content parce que moi aussi j’aime les Simpsons et les Daftpunks. Après j’me suis dit que tout le monde aime les Simpsons et les Daftpunks“
On m’a souvent parlé de personnes s’étant rencontrées sur le web dans mon entourage, j’ai souvent été étonné. Tinder me renforce dans cette conviction même si le geek en moi a encore envie d’y croire. Finalement, et si en fait rien ne remplaçait la rencontre réelle ? En attendant, vous pouvez toujours me contacter par mail, Twitter ou Facebook…
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Très bon article. Ayant testé l'appli, meme quelques mois plutards,
David Cal | 13 juillet 2014 | 0:08Très bon article. Ayant testé l’appli, meme quelques mois plutards, je partage (malheureusement) l’analyse de l’auteur. J’ai d’ailleurs été souvent très surpris du nombre de vents glacials que je me suis pris sur Tinder, d’autant que j’ai un succès assez raisonnable IRL.
Salut. Juste pour dire: je suis une fille. Je like
naga | 27 juillet 2014 | 20:24Salut. Juste pour dire: je suis une fille. Je like peu car je suis exigeante mais je suis systématiquement likée en retour dans la seconde. Alors j’entame une conversation via le chat et je ne trouve aucun mec qui souhaite une rencontre dans la réal life. Dans le monde réel on ne me traite jamais comme ça. Est ce le fait d’être caché derrière un écran qui légitime les incivilités ? Merci tinder