Réflexions autour de la chute
martin | 8 mai 2012 | 22:43Lors de retransmissions sportives, il n’est pas rare de voir un sportif chuter ou se blesser, le vélo est d’ailleurs souvent le sport qui, tristement nous rappelle cela le plus.
Rien de plus qu’un spectacle pour la plupart des spectateurs, peu d’entre nous ont conscience du monde qui s’effondre alors dans la tête du sportif, de ce qui défile devant ses yeux, les mois ou années d’entrainement, de privations et puis plus pratiquement des douleurs engendrées, les sportifs étant par nature des personnes habituées à la douleur.
On entend alors les journalistes, fans ou “consultants” sportifs parler de la récupération des sportifs comme de vulgaires machines sans prise en compte des implications nombreuses, notamment psychologiques, de tout souci physique engendré par une chute.
Une chute récente à l’entraînement m’a remis tout ça en tête, ne chutant fort heureusement que rarement. Je pense que je dois avoir, de mémoire, moins de 10 chutes de vélo, VTT ou route, depuis que je pratique, ce qui, vus les kilomètres parcourus est relativement peu. Cela dit, petite ou grosse chute, j’ai toujours détesté tomber en m’entraînant.
Faiblesse, honte, preuve d’un manque de maîtrise de l’homme sur la machine ou sur les événements, fatigue, la chute a toujours représenté pour moi le mauvais côté du sport, celui qui tire le corps au plus près de son sort ultime, celui de poussière et ravive les doutes là où le sport laisse toujours à penser que sa pratique puisse rapprocher l’humain d’un idéal surhumain.
En dehors des considérations métaphysiques qui aident parfois à relativiser sur le destin fragile de l’être humain que nous sommes face à la vitesse, la blessure toujours possible ou la résistance aux éléments, la chute et donc l’arrêt brutal d’une activité génératrice de douleur (et donc de plaisir) a toujours cet horrible effet de douleur trop vive qu’on n’est que rarement préparés à encaisser et qui génère d’un coup la libération d’une rage violente contenue et elle-même exorcisée par la pratique sportive. Ressort alors l’image trop humaine de la colère de l’esprit face au corps faible et meurtri là où le sport aide souvent à la domestiquer et à la refouler profondément dans l’esprit.
“Pourquoi tombons-nous ? Pour mieux apprendre à nous relever” disait un second rôle au héros d’un film hollywoodien, reprenant ainsi en quelque sorte, la célèbre phrase de Nietzsche “Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort”. Ce genre de phrases est certes attirant et offre une réponse simple à une complexité trop forte mais elle pose un problème à mes yeux car elle tend de fait à donner une signification, voire même à valider, l’utilité de la chute.
Dur à intégrer quand on sait ce que chuter implique comme sensations désagréables ou handicaps ponctuels éventuels : peau abrasée, muscles blessés, bosses ou hématomes entravant les articulations sans compter les remises en questions psychologiques ou les doutes induits.
Alors certes, on refait rarement deux fois la même chute ou alors pour deux raisons totalement différentes. De ce que j’en analyse, la chute permet de faire le point sur sa cause. Pourquoi ai-je chuté ? Qu’est-ce qui a fait que ce jour-là, à cet endroit-là, la chute a eu lieu alors que j’étais déjà passé des dizaines de fois sans aucun souci, que j’étais préparé ? Alors, s’il faut y trouver un intérêt ou une raison, pourquoi ne pas l’analyser ?
Je dirais qu’il est souvent difficile de ne pas y voir un symbole d’un trop plein mental, d’un acte manqué même parfois, d’une attention fragilisée par les pensées là où le sport doit justement servir de soupape. Dans ces cas-là donc, la chute peut aider à se relever et par conséquent à mieux se relever. Mais à quel prix physique ? De nouveaux morceaux de peau, des douleurs au mouvement pendant quelques jours, un souvenir pregnant et parfois même une trace durable sur le corps comme tant de pensées parasites qu’on aimerait pouvoir évacuer comme on enlèverait une tâche au savon.
Plus que jamais, la chute permet de faire le lien si besoin était, entre le corps et l’esprit. Comme me le disait un proche récemment, les douleurs peuvent parfois être des représentations de questionnements ou d’inconforts intellectuels devant des situations de la vie face auxquelles nous n’avons parfois aucune prise.
En cyclisme toujours, en mettant de côté la malchance ou les ennuis mécaniques, les chutes arrivent souvent dans les périodes de doute des coureurs. Souvenons-nous de Lance Armstrong dans ces deux dernières années de compétition, en proie au doute, à la concurrence et en combat perpétuel avec sa condition physique. Il n’a jamais autant chuté pendant ces deux saisons que pendant sa carrière toute entière. De même, Contador, sur le Tour 2011, arrivé en méforme et épuisé par un Giro enlevé haut la main, n’a jamais été dans le coup et a essuyé toutes sortes de chutes et bévues pour finalement échouer dans sa quête d’un doublé historique.
Le lien sensible du corps et de l’esprit dont la fine alchimie régule nos êtres se retrouve amplifié dans le sport. Chuter est probablement une alerte et un rappel brutal et douloureux d’un déséquilibre de cette symbiose du moins quand on est le seul responsable de la chute. Chuter récemment m’a donc permis de me remettre dans l’introspection afin de voir ce qui pouvait être responsable de ce déséquilibre et les possibilités ne manquent pas, comme toujours.
Au final, peu s’enseignement donc sinon qu’il faudrait que j’en tire quelques uns, probablement. Comme si j’avais besoin de tomber et me faire mal pour en arriver à cette chute…
Crédits Photo : Capture de l’arrivée de
l’étape 3 du Giro - Keystone/Marcio Jose Sanchez
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Bonsoir et merci pour les analyses.....petites observations sur les chutes:
le flecher | 20 mai 2012 | 19:10Bonsoir et merci pour les analyses…..petites observations sur les chutes: les vélos sont de plus en plus light, le pilotage est devenu hyper réactif, la moindre sollicitation fait réagir ces formules 1, la rigidité des roues n’est pas étrangère…..ajoutons les ronds points quasi présent sur toutes nos routes et bien souvent plus gras, plus porteurs de résidus de gommes de la circulation routière, que dire des chutes sur les bandes de peintures…même phénomène pour les motards….voilà des années que les peintures routières sont mises en causes! pour nos amis les coureurs ils maigrissent à vue d’oeil depuis qq années….l’Eicar, sans doute…la stabilité et les chutes? Oui le moral intervient, pas seulement.
Bien cordialement.