Tram(e) de notre société ?
martin | 22 octobre 2011 | 16:04Il se passe toujours quelque chose dans les transports. Vous avez certainement déjà lu ce que je raconte de mes observations dans le métro, le train ou le tram.
Ce soir m’a une nouvelle fois permis d’assister à une représentation parfaite de ce que j’aime dans les transports : l’incongruité des situations et des réactions des protagonistes représentant bien souvent le meilleur mais également le pire de l’être humain dans sa relation à l’autre.
Le Tram dans lequel je circulais était peu rempli, rentrant chez moi après être sorti assez tard du boulot. A un arrêt, le tram s’arrête pendant plus longtemps que lors des précédentes stations. Bien qu’appuyé nonchalamment contre l’une des portes vitrées, la tête sous la grille d’aération de la clim, rêvassant, je me redresse et me rends compte qu’effectivement le Tram ne repart pas.
Intrigué, je mets mon walkman en pause et me met à l’écoute des sons environnants. Pendant quelques longues secondes, rien de particulier ne m’arrive aux oreilles et tout le monde semble s’attendre comme moi à ce que la rame reparte.
Certains voyageurs arrivent en courant dans la rame ouverte tout contents d’être arrivés avant la fermeture des portes, le sourire aux lèvres. Ils se rendent compte rapidement que leur empressement a été vain. Le Tram ne repart pas.
Résonne alors distinctement dans les haut-parleurs du véhicule la voie de la conductrice adressant un message qui a fait rire beaucoup de voyageurs : “La personne en étant d’ébriété est priée de descendre de la rame !”
Tous les voyageurs se regardent alors, chacun cherchant du regard qui est la personne en état d’ébriété (Il n’est pas encore 21h, il est un peu tôt pour être bourré), tous comme moi, un peu interloqués par la demande de la conductrice. Non pas qu’elle soit injustifiée mais plutôt par son côté inédit. Qui ne s’est en effet jamais trouvé dans le métro ou le bus avec un voyageur alcoolisé ? Sur Paris, ce genre de rencontre est quasiment quotidienne pour peu qu’on prenne le métro pour rentrer du restaurant ou de soirée.
Le passager indésirable est vite repéré par le reste de la rame. Péniblement avachi contre une borne de validation Navigo adjacente aux portes, l’homme tient effectivement difficilement sur ses jambes. Tentant de se retenir à la barre de maintien, il galère à garder les yeux ouverts. Bien qu’immobile, sa démarche corporelle est presque chaloupée et son teint buriné trahit une consommation habituelle et excessive de boisson ou, à défaut, une vie trop souvent à l’extérieur. Probablement un SDF me dis-je alors soupirant de constater que leur nombre ne cesse d’augmenter dans les rues de Paris.
Il semble complètement hors du temps et de la situation dans laquelle il se trouve pendant que la conductrice réitère sa demande : “Monsieur, sortez, le tram ne repartira pas tant que vous n’en serez pas sorti”.
C’est alors que commence le jeu “théatral” de plusieurs passagers, tellement cliché et surjoué qu’on aurait pu croire au tournage d’une pub ou d’un film.
Ils ont d’ailleurs motivé cet article par leur invraisemblance à mes yeux.
Un homme assis non loin de moi hurle “Service public ! Est-ce qu’on peut repartir, merde ? Y’avait un préavis de grève pour aujourd’hui (l’homme citant alors la date du jour) ?”
Plusieurs passagers éclatent de rire dans la rame tandis que le passager ivre tangue toujours autour de sa barre, inconscient de l’attraction qu’il crée et fixé par plusieurs voyageurs incrédules de la situation ne sachant quoi faire.
La conductrice, visiblement énervée par la remarque du voyageur “critiqueur”, appelons ainsi ce monsieur typé “bobo”, brun, lunettes effilées, manteau de cuir et à l’attitude dédaigneuse, ajoute : “La personne qui l’a aidé à monter peut également l’aider à descendre !”
Devant moi, deux personnes assises se mettent alors à répéter en rigolant “Les poivrots dehors ! Les poivrots dehors !” ce qui ne manque pas de me faire sourire tant cela semble aller contre l’atmosphère de tension qui semble s’abattre sur le Tram.
Le “bobo énervé” part alors dans une diatribe typiquement parisienne et anti-RATP sortie de nulle part : “Déjà qu’à la RATP, plus de 80% votent à gauche, voilà que notre chauffeuse est adhérente à la CGT…”
C’est tellement hors de propos et violent sur le moment que cela fait rire beaucoup des voyageurs mais ne règle toujours pas le problème de l’homme fortement éméché que quelques voyageurs se sont maintenant décidés à sortir de force, et visiblement contre leur propre volonté, ne comprenant pas en quoi il est un problème.
De longues minutes s’écoulent encore avant que l’homme soit enfin sorti du tram, créant un léger regroupement sur le quai, certains curieux voulant voir par eux-mêmes l’intervention “crowdsourcée”.
Le Tram émet enfin le bip étouffé d’annonce de fermeture des portes accompagné du clignotement des lumières au-dessus des ouvertures et enfin il repart. Pendant l’espace d’un instant, j’ai cru que certains voyageurs allaient applaudir si l’incident n’avait pas consisté en la sortie d’un voyageur de la rame.
Que m’inspire cet événement allez-vous me dire et pourquoi cet article ? Et bien plusieurs réflexions ou étonnements en fait plus quelques confirmations que j’espère non définitives sur l’état de notre société.
Tout d’abord la réaction des gens. C’était étonnant de la découvrir assez semblable à la mienne. Mis de côté le râleur scandaleux qui reprochait à la conductrice (je suppose) de suivre ses directives ou procédures prévues, tout le monde semblait dérouté de découvrir qu’un voyageur alcoolisé était persona non grata à bord des transports publics parisiens ou du moins des Trams.
Le métro va donc probablement souvent s’arrêter souvent aux stations dorénavant…
Ensuite, la délégation de l’évacuation de l’homme par la conductrice aux voyageurs. Alors certes, je ne la voyais pas non plus sortir de sa cabine et aller le sortir manu militari mais de là à demander aux voyageurs de le sortir. Genre, “désolé mec mais soit tu sors, soit on ne repart pas donc on te vire”. D’habitude, les transports continuent vaille que vaille avec les poivrots, les roms chantants ou les prosélytes en tous genres à leur bord.
Enfin, une confirmation à mes yeux, celle que notre société et Paris en particulier, compte quelques spécimens d’abrutis imbuts d’eux-mêmes et aveuglés par les amalgames en tous genre dans leur haine de l’autre. Ici c’était ce “bobo” contre la RATP mais il y a tellement d’autres exemples que chacun d’entre nous saura pointer du doigt. J’ai l’impression, pour en voir moi-même de plus en plus tous les jours, que leur nombre augmente et que leur présence crée un courant d’égoïsme et d’invidualisme de plus en plus patent.
A l’aube des élections de 2012 et alors que les affaires en tous genres éclatent dans la classe politique sensée être représentative du peuple, divisant jusqu’au sein même des partis politiques, j’ai peur pour la société au global. Le fossé se creuse entre les “classes sociales” et les personnes, les amalgames qu’on pensait d’un autre temps, perdurent et attisent les rancoeurs des frustrés tout en pénalisant les honnêtes citoyens sans histoire.
Pourra-t-on revenir en arrière et inverser cette tendance pour recréer une dynamique du vivre ensemble ? Je l’espère mais crains qu’il ne soit déjà trop tard.