Comment j’ai failli assister à la naissance d’une grève RATP
martin | 13 octobre 2009 | 0:12Il se passe parfois des moments pendant lesquels on se dit qu’on est en train d’assister à un événement unique. Ce soir-là, c’est un peu ce que j’ai vécu.
Une expérience sociale en temps réel comme je les aime, une preuve que ce qu’on voit à la télé peut se produire et surtout comment cela se produit. J’ai assisté à l’agression d’un agent de la RATP. Oui !
Comment ? Nous allons le voir.
Nous verrons également à quel point le terme agression peut être considéré de manière différente selon qu’il soit utilisé par un agent de la RATP ou par un voyageur.
Voici le récit de ce qui aurait pu mener à une grève.
La scène se déroule dans le métro sur l’une des lignes les plus fréquentées de Paris à une heure tardive le soir. Une station ou bien peut-être deux après que je ne sois rentré, un homme sort en courant d’une rame adjacente à la mienne et se dirige vers la cabine du chauffeur.
Il se plaint d’avoir été agressé par un autre voyageur. Ce dernier est apparemment encore présent dans la voiture.
Immédiatement, le conducteur qui ne cache pas son ennui à devoir bouger et prendre la situation en mains, sort de sa cabine, demande quelques explications au passager forcément remonté.
Il appelle à l’aide son talkie-walkie le PC de station et explique le problème. Le passager lui raconte qu’il a été frappé par un homme dans la rame. Apparemment une histoire de regard mal placé ou de place non cédée. Bref, rien que de l’habituel dans notre société altruiste.
L’agressé, la cinquantaine, bien habillé sans plus, peau pâle, cheveux gris explique en prenant à partie l’agent RATP que l’homme est toujours dans la rame et qu’il faut faire quelque chose.
Quelques minutes que le train stationne à quai. De nombreux passagers quittent le métro, d’autres s’approchent des deux hommes.
Le chauffeur, visiblement énervé, reprend son talkie et rappelle le PC. L’agressé lui demande alors ce qu’il compte faire. Le conducteur a alors cette réaction inattendue, il lui répond “je ne suis que chauffeur, je ne peux rien faire” sur un ton des plus agressifs comme pour faire comprendre à son interlocuteur qu’il n’obtiendra rien de plus que l’appel à l’aide et la conduite. (Courage, fuyons !) Clairement, il fuit la discussion et détourne l’attention du passager.
Je les regarde et étudie cette dituation digne des cours de communication.
Le chauffeur porte un joli T-Shirt à l’effigie de Valentino Rossi. Cela me fait sourire car l’après-midi, il y avait un grand prix Moto. Il doit certainement être fan du docteur et de Moto me suis-je dit.
Ce dernier ne semble pas aussi taquin ou avenant que son idôle, il fuit clairement les perches que lui tend le passager. Pourquoi, je ne sais pas. Il semble distant, énervé. Il n’a pas l’air d’avoir envie de s’impliquer. Peut-être a-t-il déjà été agressé par un voyageur me dis-je.
L’homme attaqué, attendant du réconfort ou de la compassion se sent alors surement laissé de côté et réplique assez fermement “je fais quoi alors moi ?”.
Le chauffeur a alors cette parole dirigée vers ses collègues du PC sécurité et qui m’a fait sourire sur le coup puis beaucoup me questionner. “…là je suis en train de me faire agresser verbalement…”
Oh stupeur ! Oh Tremblements ! Agressé ! Le mot est prononcé.
Le véritable agressé, le passager, a alors ce geste de dépit, les mains lui tombant sur le corps et il se retourne complètement halluciné par la réaction du chauffeur cherchant du regard dans la rame et sur le quai queiqu’un pour le soutenir. Personne ne réagit. Certains détournent même le regard pour ne pas être pris dans ce coup fourré.
Normal dirons-nous. Il est tard, tout le monde n’attend qu’une chose, que le train redémarre. Dans la rame, on commence d’ailleurs à entendre des “Putain ! Il se passe quoi ?”, “Fais chier”, “Pfffff..”
Et puis, qui voudrait aller modérer cette discussion stérile ? En plus, on est à Paris. Personne ne regarde personne. Tout le monde fuit le regard de l’autre dans le transport. Il convient de prendre un air détaché dans les transports, froid presque malade même.
Dingue le nombre de têtes de simili mannequins tristes qu’on voit dans le métro quotidiennement.
Même absence d’émotions, même froid dans les traits. Seuls changent le gabarit et les vêtements. Les grandes maisons ne sont pas ce qu’on voit le plus dans les rames de métro loin de là.
En plus, par 35° en hiver, ce n’est pas ce qu’il convient de mettre. Les traces de sueur sur les aisselles feraient mauvais genre sur un petit haut Chanel en soie brodée main.
Malgré la torpeur de la plupart des voyageurs, sur le quai, le chauffeur semble dépassé par les événements. Visiblement, celui-ci commence à paniquer car une trentaine de voyageurs se rapproche de lui et lui pose la même question “que se passe-t-il monsieur ?”.
Aucune information n’est donnée. Normal que les gens se posent des questions ! Faut-il prendre une correspondance, partir à pied ?
Une dame âgée et polissée se fait même envoyer balader à la limite de la correction par le chauffeur qui lui explique qu’il n’est que chauffeur et n’a pas à répondre à ses questions.
L’agresseur, un homme noir, la trentaine, habillé de gueunilles sort alors de la rame, sentant la situation dégénérer, et profite de l’imbroglio pour s’en aller, jurant dans une langue que je n’ai pas su identifier, sous le regard médusé de l’agressé qui interpelle de nouveau le chauffeur lui demandant de le rattraper et sinon où sont les renforts qui le feront.
Quelques secondes plus tard, les renforts arrivent. La renfort en l’occurence, une jeune femme métis assez belle qui emmène l’agressé et lui fait comprendre d’un regard bas qu’il faut laisser filer l’agresseur et qu’il peut venir avec elle pour déposer plainte mais que visiblement, il n’y gagnera rien outre du temps de perdu.
Le chauffeur reprend sa place et annonce que le train va repartir. Le métro repart effectivement quelques secondes plus tard…enfin après que les gens descendus se soient tous agglutinés dans la première rame. Pourquoi se répartir quand on peut se tenir chaud gratuitement ? Et puis ce n’est pas comme s’il faisait 35°…
Au final, que retenir de cette histoire vraie ? Je me suis longtemps posé cette question après cette soirée.
C’est lorsque j’ai vu une publicité d’autopromo pour la RATP dans un couloir du métro que m’est venue l’idée de cet article et la réflexion qui va suivre.
Cette publicité présentait des agents RATP parfaits. Jolis, souriants, en uniforme. Pas agressifs, ni injurieux ou habillés avec des “fans clothes”. En dessous de ces personnes étaient imprimées des phrases de toute beauté du genre “pour vous servir” etc.
Suis-je tombé sur le vilain petit canard ? N’était-il pas suffisamment formé pour savoir comment répondre à cette situation qui lui a provoqué un stress important ?
Toujours est-il que comme régulièrement dans les entreprises publiques ou anciennement publiques (Poste, RATP, SNCF…) j’ai eu l’impression d’avoir vu (et je le vois souvent…) l’employé que toute la France déteste et qui a peur de l’autre.
Peur du contact avec les usagers ? Peur du regard des autres ? Peur de faire
Je ne sais pas mais cela m’a attristé car cette personne avait l’air tellement paniquée que je me suis dit que sa vie professionnelle devait être particulièrement pénible mais cela m’a aussi attristé car j’ai compris que le blocage de millions de personnes pouvait parfois ne tenir qu’à la peur, au manque de formation, d’expérience et surement aussi au manque de communication d’une seule personne.
N’est-il pas vrai que le battement d’ailes d’un papillon peut engendrer un cyclone ou un ouragan ?
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