Veille de grève
martin | 19 octobre 2007 | 20:43Paris, 17 Octobre, j’attends en gare du Nord pour prendre le TGV de 17h28 pour Lille.
Je profite des quelques minutes avant l’annonce du train pour regarder les allers et venues au sein de la gare. Je prends toujours plaisir à faire cela. L’air de rien, l’œil distrait, les écouteurs vissés aux oreilles, j’ai l’air dans un autre monde mais je regarde les personnes, j’essaye d’analyser ce qu’elles font. J’essaye de comprendre pourquoi elles font ce qu’elles font, ce qui les poussent à agir de la sorte. Imaginer ce qu’elles peuvent penser, ce qu’elles ont fait et vont faire, d’où elles viennent.
Quoi de plus passionnant en effet que de se croire avec un grand patron de la finance, un brillant chirurgien attendant de rentrer chez lui pour regarder Ruquier, un technicien en chaudières passionné de Golf, une institutrice pressée d’aller retrouver ses chats chez elles…
Parmi la foule, un homme, téléphone à l’oreille fait des allers et retours devant un des quais. Puis, il s’arrête, s’assied. Pourquoi ne continue-t-il pas ?
Des travailleurs, en retard, courent à travers la gare pour attraper un TER. Ils ont l’air perdus et savent pourtant parfaitement où ils vont. Ce n’est pas un regard de peur, peur de rater le train, qu’ils portent mais un regard lointain, celui de la personne qui à force de faire trop souvent la même chose en oublie presque qu’elle la fait.
Des traîne-savates, piercés font la manche passant d’homme en costard, à femme en tailleur. Personne ne leur donne quoi que ce soit. Personne ne les regarde même simplement. Tous font mine de répondre au téléphone, de vérifier le billet dans leur poche sûrement déjà vérifié plusieurs fois. La misère passe au milieu de ces gens et ils la font partir par des gestes d’ignorance comme on fait partir une mouche de sa peau en bougeant négligemment.
Des hommes d’affaire, costume, cravate, allure fière et imposante, blackberry à la main et attaché case dans l’autre, imper beige coincé au coude attendent. L’habitude se lie dans leur attitude détachée et presque détendue. Ils ne sourcillent pas aux annonces SNCF et savent précisément quand leur train va être annoncé, quelle sera leur place, en première classe évidemment.
Des étudiants, sac Eastpack pour les garçons, sac cabat sur l’avant-bras pour les filles, slim dans les deux cas, les filles se différenciant juste par leur coiffure, leur écharpe type Burberry et leurs ballerines en lieu et place des Converse pour les mecs. Tous ceux-là ne font apparemment que passer. Changement de métro, café avec les potes, attente de quelqu’un. Là aussi, ils semblent dans leur monde, plus occupés à rire ensemble qu’à faire attention aux personnes les frôlant à la hâte de peur de rater leur correspondance.
A travers toutes ces personnalités, rien ne semble présager d’une grande grève le lendemain, comme si tout le monde avait fait le nécessaire ou même n’avait que faire de cette manifestation de mécontents de la réforme des retraites.
Un peu plus tard dans le train, tous ces visages de quai de gare se retrouvent dans le wagon. On sent que la journée a été dure. Les quelques téméraires qui commencent la lecture d’un ouvrage sorti du sac tombent de fatigue et les rayons du soleil rasant la ligne Paris-Lille les incitent à fermer les yeux.
De mon côté, j’hésite à en faire de même mais avec le MP3 sur les oreilles, je veux éviter au contrôleur de devoir me taper l’épaule pour me poinçonner mon billet. Donc, je résiste. Ce n’est pas trop dur finalement. Le matin, j’avais fait pareil sauf que personne n’était passé. C’est fréquent sur le Lille-Paris, moins au retour. Seulement, ce soir encore, personne ne passera pour contrôler les billets.
Intérieurement, à la vue de ce wagon plein, je me mets à imaginer la cause de ce non passage et immédiatement, je ne peux m’empêcher de croire à une certaine peur des réprimandes, une certaine lâcheté des contrôleurs, ayant peur de se faire sinon insulter, au moins interpellés sur la pagaille et les ennuis que la grève de 72,5% de leurs collègues de la SNCF et peut-être eux-mêmes allaient provoquer. Plus j’y repense et plus j’y crois. C’est forcément à cause de cela. J’étais en milieu de train et je ne les ai vus ni au loin dans les rames devant, ni au loin dans les rames derrière. Tout juste sont-ils passés furtivement au départ du train, histoire de valider les titres des étourdis ou des pressés ne l’ayant fait avant d’embarquer.
Alors, simple coïncidence ou doute de la force de ses arguments face à ceux des usagers mécontents ? Je n’ai pas la réponse mais ai de fortes présomptions.
Qu’en pensez-vous ?
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